Onze arrêts qui ont fait la une en 2023

Le Tribunal administratif fédéral (TAF) a rendu l’année passée quelque 6500 arrêts, dont plusieurs ont intéressé les médias. Aperçu de onze affaires qui ont fait la une en 2023, montrant aussi la diversité des thèmes qui occupent les juges de Saint-Gall.

14.03.2024 - Lukas Würmli

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Il y a quelques jours, le Tribunal administratif fédéral a publié son rapport de gestion pour l’exercice 2023. On y apprend que les juges du tribunal sis à Saint-Gall ont rendu au total 6655 arrêts, soit presque 25 par jour de travail. Certaines de ces décisions ont aussi beaucoup intéressé les médias. Voici une sélection d’affaires qui ont fait la une.

La pomme appartient à Apple (B-4493/2022)

L’image de la pomme croquée est étroitement liée à l’entreprise de technologie américaine Apple. Au mois d’août, Apple s’est vu ainsi confirmer par le TAF le droit d’utiliser l’image d’une simple pomme comme marque pour des enregistrements audio et vidéo. L’Institut fédéral de la propriété intellectuelle avait tout d’abord nié ce droit au motif qu’une pomme normale constitue une image du domaine public, un patrimoine commun. Le débat précédant la décision du tribunal a porté essentiellement sur le risque potentiel de restrictions pour le secteur de l’arboriculture. Ce n’est pas le cas toutefois, puisque la protection ne vaut que pour une image particulière d’une pomme Granny Smith utilisée pour les enregistrements audio. Son utilisation n’est autorisée ainsi que sous la forme d’un logo.

Afghanistan (F-2067/2022, F-3406/2022, D-4386/2022)

Trois arrêts concernant des ressortissants afghans ont été repris dans la presse suisse en 2023. En septembre, le TAF a reconnu pour la famille d’un ancien procureur afghan le droit à un visa humanitaire au motif que le requérant est exposé à un risque de persécution aggravé dans son pays. Deux mois plus tôt, le TAF a admis le recours d’un Afghan sans pièces de légitimation qui était alors dans l’impossibilité d’obtenir un passeport depuis son pays d’origine. Le tribunal a enjoint le Secrétariat d'Etat aux migrations de vérifier, dans de tels cas, si les conditions pour délivrer des documents de voyage à des étrangers sont remplies. Dans une troisième affaire, le TAF a donné raison à deux sœurs afghanes auxquelles le SEM avait refusé d’accorder l’asile en première instance. Dans toutes ces causes, les arrêts du TAF sont définitifs

Subventions VBL (A-4488/2021)

Au mois d’août, le TAF a confirmé que l’entreprise de transports publics de Lucerne VBL (Verkehrsbetriebe Luzern AG) avait perçu trop de subventions entre 2012 et 2017. Il a ainsi donné raison à l’Office fédéral des transports (OFT), qui exigeait un remboursement à hauteur de 200 000 francs. La décision a été remarquée non pas en raison du montant en jeu, mais parce que c’est la première fois qu’une autorité judiciaire a confirmé une violation dans le domaine des subventions. L’entreprise avait en effet reçu de sa filiale VBL des intérêts théoriques pour l’utilisation de véhicules, ce qui n’était pas nécessaire mais avait permis d’obtenir davantage de subventions. Estimant que l’entreprise avait ainsi violé des prescriptions en matière d’affectation des bénéfices au sein de la holding, l’OFT a demandé à juste titre le remboursement de l’argent.

Des radios privées contraintes de rembourser des subventions Covid (A-2894/2022, A-2895/2022, A-2897/2022)

Plusieurs radios privées ont bénéficié d’aides de la Confédération pendant la pandémie Covid-19. Trois d’entre elles doivent rembourser ces montants, comme en a décidé le TAF. L’argent a notamment été utilisé pour provisionner des prestations de caisse de pension, ce qui a empêché un bénéfice qui aurait eu pour conséquence un remboursement des aides Covid. Remarquant cela, l’OFCOM a exigé un remboursement du bénéfice correspondant comptabilisé en 2020, soit l’exercice durant lequel les radios privés ont fait un bénéfice. Les recours contre cette décision au TAF n’ont rien changé.

Credit Suisse Group SA renonce à recourir contre l’amortissement des CCA (B-2254/2023)

La reprise de Credit Suisse Group SA (CSG) par UBS Group SA a donné lieu à un nombre record de recours au TAF. L’Autorité de surveillance des marchés financiers (FINMA) a ordonné à CSG d’amortir l’ensemble des instruments de capital de type Additional Tier 1 (instruments AT1) et d’en informer immédiatement les créanciers concernés. Quelque 3000 personnes ont contesté cette mesure devant le TAF, lequel n’a toutefois pas encore statué.

Mais CSG également s’est adressé au TAF, non pas à cause des emprunts AT1 mais pour les Contingent Capital Awards (CCA) attribués à des collaborateurs de la banque. Etant d’avis que la décision de la FINMA ne concernait pas les CCA, l’établissement a déposé une requête de mesures provisionnelles. Une vingtaine de jours plus tard, la banque a retiré sa demande et la procédure a été radiée.

Le tunnel de Douane (A-4025/2021, A-4026/2021, A-4079/2021, A-4113/2021)

Le village de Douane, au bord du lac de Bienne, prévoit la construction d’un tunnel de contournement et la prolongation de l’actuel tunnel de Gléresse. Dans ce cadre, le portail fait régulièrement l’objet de procédures juridiques, dont plusieurs sont parvenues au TAF. Le tribunal a ainsi soutenu une décision de l’Office fédéral des routes (OFROU) qui visait à exproprier un bien-fonds avec immeuble de personnes privées pour des installations de chantier. C’est le cas aussi d’une vigneronne connue, concernée par le chantier, qui a saisi le TAF parce qu’elle doit céder une parcelle correspondant à 17 % de la surface de son vignoble pour le projet. Déboutée, l’intéressée a néanmoins obtenu gain de cause sur deux points : elle doit être consultée sur le concept de protection des sols et les travaux d’asphaltage doivent être effectués en principe avant le début de maturation du raisin.

Cartel dans la construction aux Grisons (B-3096/2018, B-3097/2018, B-3290/2018)

La Commission de la concurrence COMCO a mené dès 2012 une série d’enquêtes contre des entreprises de construction dans le canton des Grisons. Au printemps 2018, elle a finalement sanctionné plusieurs entreprises sises en Basse-Engadine pour violations de la loi sur les cartels. Dans trois arrêts rendus en novembre 2023, le TAF a confirmé que des entreprises du groupe Foffa Conrad, soit Lazzarini SA et Resgia Koch SA, avaient participé à un accord illicite en matière de concurrence. Le tribunal a cependant réduit le montant de la sanction fixé par la COMCO, entre autres parce que le groupe Foffa Conrad et – dans une moindre mesure – également l’entreprise Lazzarini SA avaient contribué à révéler les faits.

Zofingue gagne contre l’EPFL (B-3985/2021)

Conformément aux statuts, la qualité de membre de l’association d’étudiants Zofingue est réservée aux hommes. Estimant qu’il s’agit là d’une discrimination à l’égard des femmes, l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) a refusé d’accorder à Zofingue le statut d’association d’étudiants et par conséquent le droit d’utiliser les locaux, le logo ou les canaux de communication de l’institution. Zofingue a contesté cette décision devant la Commission de recours interne des EPF, laquelle lui a donné raison. L’EPFL a alors fait recours au TAF. Dans son arrêt, le tribunal constate que l’égalité des sexes et la liberté d’association sont deux droits fondamentaux de valeur égale. En cas de conflit, seuls des mesures proportionnées peuvent être prises pour le résoudre. Il soutient en cela la décision de la Commission de recours des EPF. D’une part, l’EPFL dispose de nombreux moyens moins invasifs pour promouvoir l’égalité des sexes. D’autre part, l’association Zofingue, qui ne regroupe qu’une quarantaine de membres, n’a que peu d’impact sur l’ensemble du corps estudiantin féminin et ne met pas en péril les études ou les carrières d’étudiantes. Le TAF considère ainsi la décision de l’EPFL comme étant disproportionnée et rejette le recours.

La question du loup : tir ou protection ? (A-5142/2021, A-4912/2022)

La question de la régulation des meutes de loups en Suisse a aussi occupé le TAF en 2023. En janvier déjà, le tribunal a réduit les exigences de preuve requises pour abattre un loup dominant. En octobre, il a tranché en faveur des loups, en l’occurrence la meute du Val d’Hérens dans le canton du Valais, confirmant de fait la réponse négative de l’OFEV à la demande de régulation présentée par le canton. Le TAF a estimé en l’espèce que, pour plusieurs des moutons tués, les mesures de protection des troupeaux n’étaient pas suffisantes. La discussion sur le loup a repris en décembre, après que l’OFEV a autorisé la régulation à titre préventif et que des organisations de protection de la nature ont contesté cette décision devant le TAF.

Avions de combat : pas d’accès aux dossiers d’évaluation (A-839/2022, A-1526/2022)

Le TAF a été amené à se pencher sur l’achat d’avions de combat pour l’armée suisse par l’Office fédéral de l’armement (armasuisse). En 2021, un journaliste suisse a demandé à armasuisse et au Laboratoire fédéral d'essai des matériaux et de recherche (Empa) de pouvoir consulter les critères d’évaluation appliqués à la procédure d’appel d’offres. Après que cette demande lui a été refusée, il a interjeté recours auprès du TAF se prévalant de la loi sur la transparence. Le Tribunal a constaté que l’acquisition d’armes, de munition ou de matériel de guerre pour la défense nationale et l’armée n’est pas soumise à la loi sur les marchés publics mais répond à des règles particulières qui permettent une confidentialité renforcée. Raison pour laquelle il a estimé justifié le rejet de la demande du journaliste.

Les transferts Dublin vers la Croatie restent licites (E-1488/2020)

Le système croate étant généralement sous le feu de vives critiques, le TAF s’est penché au mois de mars sur les transferts Dublin vers la Croatie. Dans son arrêt de référence, le tribunal retient que la pratique régulière de refoulements illicites à la frontière de personnes en quête de protection (push back) est hautement probable en Croatie. Cependant, les personnes qui sont transférées de la Suisse vers la Croatie en vertu du règlement Dublin III ne sont pas concernées. Cela ressort des rapports actuellement disponibles ainsi que de la jurisprudence dominante dans les autre États Dublin. C’est pourquoi le TAF considère comme étant encore licites les transferts vers la Croatie (prise en charge et reprise en charge).

Remarque : Les informations contenues dans cet article proviennent des arrêts eux-mêmes et non des articles ou reportages des médias. Elles ne prétendent pas être exhaustives et ne sont pas juridiquement contraignantes. C’est pourquoi il est toujours renvoyé aux arrêts concernés.

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